dijous, 26 de novembre del 2015

1975. Franco, la sentinelle anticommuniste de l'occident meurt.


http://www.humanite.fr/1975-franco-la-sentinelle-anticommuniste-de-loccident-meurt-589677


JEAN ORTIZ
VENDREDI, 13 NOVEMBRE, 2015
HUMANITÉ DIMANCHE
Enfin mort ! Après 40 années de croisade contre les «rouges» et de dictature que ni l'effondrement du fascisme en Europe ni les soulèvements républicains ne sont parvenu à abattre, le décès du tyran reste «le plus beau souvenir» de bien des Espagnols.
À l'académie militaire où il entre en août 1907, ses copains se moquent de lui et l'appellent « Franquito », tellement il a l'aspect d'un bouffon. Complexé, il ne participe pas aux virées du samedi soir. Au sexe et à l'alcool, il préfère l'esprit religieux, la piété, hérités de sa mère, dona Pilar Bahamonde. Son père, Nicolas, un sacré bambochard, mène une vie dissolue et s'affirme libre-penseur... Estce ce passé, peu héroïque, qui va pousser le jeune cadet, né le 4 décembre 1892 à El Ferrol (Galice), à s'inventer une biographie mythifiée, à se prendre pour le nouveau Cid ? Le fantasque Salvador Dali écrira : « Je suis parvenu à la conclusion que c'est un saint. (1) » Sous le masque politique, aucun des mythes tissés autour de Franco ne résiste à une analyse sérieuse.
Jeune officier, il fait ses classes militaires pendant l'impitoyable guerre coloniale du Maroc et devient rapidement capitaine pour « mérite de guerre », connu pour sa froide cruauté. Promu officier de la féroce Légion, il se couvre de sang et de « gloire ». En février 1927, il est nommé à Saragosse pour diriger l'Académie militaire générale. Ce jeune général va devenir pour les classes dominantes l'homme qu'il faut, au moment où il faut. Son « État nouveau » garantit la pérennité de leurs intérêts. La gauche l'a souvent sous-estimé (2), considéré comme une brute épaisse, bigote, incompétente. Le personnage s'avère en réalité plus malin, calculateur, fin politique et militaire, qu'on ne le croit généralement.
En octobre 1933, le gouvernement (conservateur) de la IIe République le charge de diriger, depuis Madrid, l'écrasement de la « commune » des mineurs des Asturies. Le général mène une véritable boucherie contre les mineurs avec les mêmes méthodes que lors de la guerre coloniale. En quelques jours, la répression fait 1 300 morts (chiffre officiel, minoré) et 30 000 prisonniers. Semer la terreur pour paralyser toute résistance sera désormais érigé en norme. Jusqu'à sa mort, Franco gouvernera l'Espagne comme un pays occupé par une armée étrangère victorieuse (3).
Son biographe franquiste, Luis de Galinsoga (4), confirme la cruauté délibérée du dictateur. Il raconte qu'à la fin des repas, il survolait avec une froideur sadique la pile de dossiers de condamnations à mort entassés devant lui. Et la sentence tombait, glaciale. Le bourreau écrivait le plus souvent « enterado » (informé), ce qui signifiait : « condamné à mort (5) », précisant peloton d'exécution ou supplice du garrot, broyant les vertèbres cervicales. Il s'arrangeait pour que les quelques grâces concédées arrivent après l'exécution. Il fallait que les familles, traumatisées, vivent longtemps dans un permanent état de guerre (150 000 morts après la fin officielle du conflit, le 1er avril 1939).
Jusqu'au dernier moment, le dictateur s'est considéré en guerre contre les « rouges », les communistes, les francs-maçons, condamnant à l'exécution par garrot le 2 mars 1974 les anarchistes Francisco Granado Gata et Joaquin Delgado Martinez, fusillant le 27 septembre 1975, deux mois avant de mourir, deux militants de l'ETA et trois du Front révolutionnaire antifasciste et patriotique (FRAP), puis garrottant l'anarchiste Puig Antich. Au terme d'une conspiration civicomilitaire dont il ne fut pas le leader, Franco mena la guerre d'Espagne comme une guerre totale. Il est personnellement « responsable de la répression qui releva de l'holocauste (6) ».
Depuis les Canaries, il participe au golpe (17-18-19 juillet 1936) des monarchistes, des carlistes, des droites civiles et militaires, des secteurs fascisants (Confédération des droites autonomes (CEDA), Phalange...), avec prudence, en se justifiant dans un « Manifeste de Las Palmas ». Il y jure de « ne pas abandonner l'Espagne aux ennemis de la patrie (...) aux masses trompées et manipulées par les agents soviétiques (7) ». Le cerveau du putsch est le général Emilio Mola, mais ce dernier ne peut avancer comme prévu de Navarre sur Madrid, son collègue Goded capitule devant le peuple de Barcelone en armes, le général Sanjurjo est victime d'un mystérieux accident. Les autorités républicaines bourgeoises, craignant davantage les classes populaires que les conspirateurs insurgés, réagissent mollement au coup de force... La voie est donc libre à « Franquito », chef de la redoutable « armée du Maroc », et désormais la seule alternative pour asséner le coup fatal à la République, rompre la dynamique des réformes et des expériences révolutionnaires, assurer la revanche sociale sur le « Frente Popular », victorieux électoralement en février 1936.
La plupart des historiens sérieux ont démontré qu'en juillet 1936, il y avait en Espagne un processus progressiste en marche, mais aucun danger de « communisme », pas plus d'ailleurs qu'en février et mars 1939 (8), sauf à y regarder avec les oeillères de classe des nantis, des conservateurs au gouvernement en Angleterre, des acteurs de la très interventionniste « non-intervention ». Les classes dominantes chargent Franco de mener une guerre d'extermination de l'Espagne populaire, de « nettoyage » de classe. Il déclare au journaliste américain Jay Allen : « Je sauverai l'Espagne du marxisme à n'importe quel prix (9). » Nommé « généralissime » et chef du gouvernement, à la tête des redoutables troupes coloniales, des terribles légionnaires et mercenaires marocains du corps des Regulares, il conduit lentement une guerre politique et d'anéantissement de l'Espagne des prolétaires, des deux grands syndicats (UGT, CNT-FAI), afin d'asseoir indéfiniment son pouvoir, celui des oligarques, des grands propriétaires terriens, de la banque, de la bourgeoisie montante, de l'Église... Les droites considèrent le « caudillo par la grâce de Dieu » comme « le sauveur ». Le quotidien « ABC » de Séville titre le 22 juillet 1936 sur l'enjeu supposé : « Guerre à mort entre la Russie rouge et l'Espagne sacrée ». L'historien Julian Casanova confirme, comme ses collègues Preston, Viñas, Espinosa, ce « plan d'extermination » franquiste (10). Le 14 août 1936, lors de la prise de Badajoz, les factieux massacrent dans les arènes 2 000 prisonniers. En zone contrôlée par ceux qui usurpent le nom de « nationaux », la Phalange et la garde civile se livrent à une orgie d'assassinats. Devenue parti unique en avril 1937, la Phalange, calquée sur le modèle mussolinien, donne au régime une idéologie fasciste et le structure. Pour l'Église, la cause franquiste relève d'une véritable « croisade (11) ».
Elle vise à « détruire physiquement, le plus possible, l'Armée républicaine (12) », à implanter, sans possibilité de retour en arrière, la dictature franquiste des classes dominantes. Le 2 août 1936, commence la longue marche sanglante de Séville à Madrid (13). Guerre et dictature font donc partie d'un même cycle historique. Ce qui devait au départ n'être qu'un « coup d'État brutal et rapide » change de nature par la résistance des milices d'ouvriers, de journaliers sans terre (14). La riposte populaire immédiate mêle défense de la démocratie et « révolution sociale ». Victorieuse à Madrid, Barcelone, dans les zones industrielles du Nord, elle met en échec les plans initiaux des putschistes.
Hitler et Mussolini comprennent très vite l'enjeu espagnol et apportent une aide massive aux golpistes. Ainsi commence le premier face-à-face, les armes à la main, contre le fascisme. Franco fait appel à l'aide salvatrice de ses protecteurs, à la légion Condor. Elle est directement placée sous sa responsabilité. La destruction de Guernica est effectuée à la demande du haut commandement franquiste et de Franco (15). Le « No pasarán » madrilène devient le cri de ralliement de l'antifascisme. Après trois ans de résistance acharnée, ils sont passés. Le 27 mars 1939, les troupes franquistes rentrent dans un Madrid de cimetière... Ils sont passés. Parce que le conflits 'inséradansl esdonnées delasituatio ninternatio nale, de la crise des années 1930, de la montée du fascisme, de la criminelle politique « d'apaisement » et de fausse « non-intervention » des démocraties occidentales... L'Espagne républicaine et antifasciste fut victime d'une authentique agression extérieure.
Le 20 février 1939, Franco signe avec l'Italie, l'Allemagne et le Japon le « pacte anti-Komintern ». Le Caudillo est fasciné par le nazisme. Il s'aligne par conviction sur les dictatures de « l'Axe » (16), convaincu qu'Hitler et Mussolini lui permettront de gagner du terrain en Afrique du Nord pour satisfaire ses rêves impériaux. Il envoie même, en juin 1941, sur le front de l'Est, des milliers de phalangistes, la division Azul, combattr eauxcôtésd esnazis,afinde pouvo irréclamer sondûaum omentdelavi ctoire.Ilfournità l'Allemagne nazie un minerai stratégique, le wolfram, qui permet de fabriquer des aciers de haute qualité, destinés àl'industriedel'armement.Cen'estqu evers lafinde 1944 qu'il jure ses grands dieux devant les Alliés que ses liens avec Hitler étaient seulement destinés à combattre le communisme.
{C}{C}

Le mythe central de « la neutralité de Franco», d'un Caudillo«pacifiste» qui trompe Hitler, qui nage entre deux eaux, qui évite d'entraîner l'Espagne dans l'affrontement mondial, ne résiste pas à l'examen.Jusqu'àlafin,Franco estsûr d'undénoue ment favorable au IIIe Reich (alors que l'état-major militaire doute), et considère son régime menacé si les Alliés l'emportaient. « Franco non seulement croit aveuglément en la victoire du Reich, mais il est aussi pleinement décidé à entrer en guerre à ses côtés (17). »
Lorsqu'il rencontre Hitler à Hendaye, à la fin octobre 1940, il se montre effusif, propose ses services, mais le Führer, qui le méprise, sait l'Espagne très affaiblie, et préfère miser sur Vichy. La germanophilie du Caudillo et de son « super beau-frère » Serrano Suñer, ministre des Affaires extérieures et chef de la Phalange, ne fait pas l'unanimité chez les militaires, notamment les monarchistes, qui somment Franco de rétablir la monarchie. Le dictateur, lui, veut imposer une monarchie franquiste, subordonnée à lui-même. Il amène Don Juan père à renoncer à ses droits au trône et, après accord mutuel en août 1948, prend sous sa coupe de régent à vie, le jeune Juan Carlos.
Le dictateur joue des tensions permanentes entre la Phalange, l'armée, les monarchistes, l'Église, les « technocrates » de l'Opus Dei. Il compte sur l'amiral Carrero Blanco... assassiné par l'ETA le 20 décembre 1973, pour garantir « un franquisme sans Franco ». Le 24 mai 1944, devant la Chambre des communes Winston Churchill avait proclamé : « Les problèmes internes de l'Espagne sont l'affaire des Espagnols euxmêmes (18). » Traduction : plutôt Franco que le Front populaire.
Franco a dirigé d'une main de fer l'une des dictatures les plus longues et cruelles de l'histoire contemporaine que « les organisateurs de l'oubli » (Juan Gelman) voudraient banaliser. On assiste au retour de toute une littérature «deguerrefroide»afind'évacuerl'affrontementsocia et politique de classe entre deux projets, le premier choc frontal entre le fascisme et l'antifascisme. En mars 1947 la « doctrine Truman » légitime le dictateur. En septembre 1953, les pactes avec les États-Unis font de Franco « la sentinelle anticommuniste de l'Occident ».
(1) « La Cara humana de un caudillo », de R. Baon, Editorial San Martin, 1975, p. 91.
(2) « El Gran Manipulador », de P. Preston, Ediciones B, 2008, p. 11.
(3) « La Politica de la venganza », de P. Preston, Ediciones Península, 2014, p. 128.
(4) « Centinela de occidente », de L. de Galinsoga, éd. AHR, 1956, p. 302.
(5) « El Gran Manipulador », de P. Preston, op. cit., p. 86.
(6) Ibid., p. 97.
(7) « La Conspiracion del general Franco », d'A.Viñas, ed. Critica, Jean OrtIz 2011, p. 107.
(8) Ibid., p. 314.
(9) « El Gran Manipulador », de P. Preston, op. cit., p. 81.
(10) « Morir, matar, sobrevivir.La violencia en la dictadura de Franco », collectif, éd. Critica, 2002.
(11) « El Cardenal Goma y la guerra de España », de M. L. Rodriguez Aisa, Madrid, CSIC, 1981, p. 109-125.
(12) « La Republica en guerra », d'A. Viñas, éd. Critica-contrastes, 2012, p. 316.
(13) « La Primavera del Frente popular », de F. Espinosa Maestre, éd. Critica, 2007, p. 211.
(14) « L'Enjeu espagnol », de C. Serrano, Éditions sociales, 1987.
(15) « Franco caudillo de España », de P. Preston, éd. Debolsillo, 2006, p. 280.
(16) « El Honor de la Republica », d'A. Viñas, éd. Critica, 2009, p. 477.
(17) « El Gran Manipulador », de P. Preston, op. cit., p. 106.
(18) « Complete Speeches », de W. Churchill, éd. Robert Rhodes James, vol. 7, 1974, p. 6934-6937.